• De notre ami Denys Renaud


    L'IMPORTATION EN FRANCE D'UN SYSTEME DE « PRIMAIRES » A l’américaine




    Après Halloween, les Primaires, les Républicains, …l'habitude d'importer en bloc et sans trop de discernement ce qui vient des États Unis semble désormais en passe de devenir chez nous une seconde nature...

    Pourtant la question doit se poser:Y a -t-il avec ces « Primaires », progrès de la démocratie ou degré supplémentaire de dérive du politique ?

    L'importation progressive en France, et de façon extra-institutionnelle, de la pratique américaine de « primaires » pour la désignation des candidats à l'intérieur des grandes formations politiques vient bouleverser non seulement les habitudes électorales françaises mais encore l'esprit même de l'engagement politique et de son mode de représentation. Cette intrusion mériterait une réflexion approfondie et un débat public qui jusqu'alors n'ont eu ni la place ni le questionnement qu'on aurait pu en attendre.

    S'agit-il d'un progrès de la démocratie ?

    L'idée que ce soit aux citoyens de choisir le candidat appelé à représenter le courant politique dans lequel ils se reconnaissent plutôt qu'aux appareils des partis de les désigner peut séduire à première vue et apparaître comme un pouvoir accru rendu aux citoyens.
    Conséquences négatives et effets pervers :
    Toute modification dans la pratique électorale doit être examinée dans ses implications et conséquences et donner lieu à un bilan critique. Justement l'instauration de ces primaires modifie largement la donne.
    Par exemple, on créé artificiellement un effet d'emboîtement de type poupées russes dans la mesure où on instille à l'intérieur des formations politiques les mêmes compétitions, rivalités et oppositions qu'au niveau de l'échiquier politique nationale ; avec comme conséquences :
    une surenchère d'ambitions personnelles, favorisant les manœuvres, les intrigues, les coups bas,
    une balkanisation des partis politiques, dans lesquels les électeurs peinent à se retrouver, et qui laisse des rancœurs, voire des rancunes chez les perdants de ces primaires
    un recours accru à la démagogie, pour départager des personnes supposées normalement partager les mêmes valeurs mais se retrouvant projetés d'un coup en rivalité,
    une personnalisation à outrance, les programmes les nuances de lignes politiques finissant par s'effacer et compter beaucoup moins que les enjeux de personnes,
    une féodalisation de la politique,on se regroupe parécuries avec des « hommes liges »autour d'une personnalité supposée « présidentiable »  et non plus autour d'un programme,
    une augmentation du financement et donc du coût final des élections,en obligeant à des campagnes, débats, temps d'antenne qui finit par être encore payé par les citoyens,
    une dérive mécanique vers le bi-partisme, seul les plus grandes formations ont les moyens d'organiser ces primaires, les « petits partis » se retrouvent quasi éliminés de ce système, exactement comme aux États Unis.

     
    La France n'est pas les États Unis : Si le système des primaires américaines peut se justifier (encore qu'il ne date que de la fin du XIX° siècle et n'est même pas adopté par tous les États), par le fait qu'il s'agit là d'une fédération d’États (par certains côtés proche même d'une confédération), qu'il est propre aux États Unis et qu'il n'existe nulle part ailleurs, il s'inscrit chez nous comme un postiche car la France n'a ni la même histoire ni les mêmes structures d'organisation, ni le même « esprit des lois ». Ainsi par exemple ce qui est officiellement légal aux États Unis comme le financement illimité des candidats par des groupes privés et des lobbies, normalement en France tombe sous le coup de la loi au titre du « trafic d'influences ».
    La boîte de Pandore des trucages : Déjà des électeurs de gauche se proposent de voter dans la primaire de droite, qui pour éliminer le supposé « pire » dans la perspective d'une victoire adverse, qui pour placer le supposé pire comme épouvantail dans l'espoir d'une victoire de leur camp. Pour cela ils se soumettront à une fausse déclaration sur l'honneur de partager les valeurs de la droite. Ainsi assistons-nous à une dérive perverse des comportements électoraux vers des pratiques de caniveau.
    Un président incarnant la Nation et devant se situer au-dessus des partis : Normalement d'après l'esprit de nos institutions, il n'y a pas en France de « Spoils system »à l'américaine. Le président élu doit toujours se situer au-dessus des partis. Avec les Primaires, comment dans ce contexte de course d'obstacles afin d'obtenir par élection la légitimité des adhérents et sympathisants de son parti et ainsi muni de cette onction concourir à la compétition finale, pouvoir se situer véritablement en-dehors d'eux ?
    Inventaire et bilan : L'élection d'une assemblée constituante devrait avoir comme première tache de faire l'inventaire et le bilan de la 5 ème République et de ses évolutions ou involutions afin de pouvoir réfléchir sur les bases institutionnelles d'une Constitution rendant à la République sa dignité et aux citoyens le pouvoir qui leur a été confisqué.

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  • André Bellon se sent amer, et il y a de quoi, à constater ces écuries d'Augias hyper-survitaminées que sont les primaires à la "présidentielle". Si on vous disait qu'il s'agit de chamailleries de maternelle, vous ne tiqueriez pas. Or il s'agit de tout autre chose : rien moins que de la façon dont des professionnels de la profession politique (et de rien d'autre, soulignons-le) renchérissent "Moi, m'sieu, moi, m'sieu", ou "c'est lui qui...." ou des onomatopées et des vocabulaires plus scabreux.  Ils portent cravate, gilet, costume trois pièces, voire queue de pie, gants et haut de forme. Ils roulent limousine ou falcon, voire la taille au-dessus encore.  Pour eux nous sommes les sans-dents. Nous n'existons pas. "On ne respecte pas un indien sans ses plumes !".

    Cependant, ce sont les mêmes qui ont la prétention de décider de notre sort pendant cinq ans, avec interdiction - ou c'est tout comme - de l'ouvrir, si nous ne sommes pas contents. Or, vu leur manière de voir les choses, nous ne pouvons pas être contents.

    André Bellon se sent amer, et le dit. Passons-lui la parole.

    Jean-Claude Cousin – cercle de Nantes


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    … de peur d’être obligé d’en pleurer.

    La présidentielle dans la joie

    Il faut reconnaitre que les « primaires » ont quelque chose de merveilleux. On aurait beaucoup perdu à s’en passer.

    Soyons sérieux ! Ce processus favorise-t-il quelque peu l’élévation du débat public et la clarification des différends politiques ? Qu’on en juge ci-après.

    Voilà des électeurs de gauche prêts à aller voter à la « primaire de droite » pour Alain Juppé contre lequel ils manifestaient violemment autrefois. Qu’on ne s’émeuve pas de cette contradiction politique ! Il s’agit en fait d’empêcher la désignation de Nicolas Sarkozy contre lequel les électeurs ont voté François Hollande en 2012. Mais, par ailleurs, certains pensent que la direction du PS verrait dans la désignation de l’ancien président le meilleur moyen de reconduire l’actuel. De son côté, Juppé fait appel aux électeurs de la gauche qu’il veut battre à la présidentielle, justement pour battre Sarkozy dont il fut d’ailleurs membre du gouvernement. François Fillon, qui avait réussi l’exploit de mettre des millions de personnes dans la rue contre sa réforme des retraites, fait également appel aux électeurs de gauche pour vaincre Sarkozy dont il fut premier ministre. Notons au passage qu’un coup d’œil, même furtif, aux programmes de tous ces candidats remplirait d’effroi l’électeur de gauche le moins radical. Les électeurs de gauche veulent-ils vraiment choisir celui qui leur tapera dessus au lendemain de l’élection ?

    Ces manœuvres et raisonnements alambiqués nous remplissent d’impatience : vivement la « primaire de gauche » ! Peut-être les électeurs des partis de droite s’y immisceront-ils à leur tour pour choisir leur adversaire à la présidentielle…

    Et on nous disait que les primaires allaient clarifier et démocratiser la vie politique en France. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

    Pourquoi ne pas se rendre à l’évidence ? Même avec des modifications de procédure, la présidentielle de 2017 n’est pas la solution à nos soucis mais le problème ! Remplaçons-la par l’élection d’une Constituante. Elle seule peut clarifier le débat sur les institutions et leur redonner valeur démocratique.


    Amitiés

    André Bellon


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    La Constituante face à la présidentielle






    Nous appelons à remplacer la Présidentielle par l'élection d'une Constituante

    L’Association pour une Constituante est parfois confrontée à cette question : pourquoi refuser de passer par l’élection présidentielle pour imposer la Constituante ?

    Nous récusons en effet cette idée. Selon nous, les deux objectifs se contredisent. C’est pourquoi nous appelons à remplacer la Présidentielle par l’élection d’une Constituante, manière symbolique de se libérer de l’obsession présidentielle, pilier de nos institutions et poison pour la démocratie.

    Nos explications se sont heurtées au militantisme fermé des thuriféraires de tel ou tel candidat censé porter les changements institutionnels nécessaires. Ce qui est intéressant -et très révélateur de la logique présidentielle-, c’est le ton employé : interjections comminatoires, plus ou moins méprisantes et peu caractéristiques d’esprits ouverts au dialogue. Je cite : « Ne vous en déplaise, pour passer à la 6ème république il faut en passer par les règles de la 5ème ; dépensez votre énergie à ça plutôt qu’à des plans fumeux qui n’aboutiront jamais…. Attendez-vous des martiens pour nous obliger à mettre la Constituante en place ? » De telles méthodes ont pour objet de clore tout débat avant même qu’il ne commence. Habile !





    Un candidat à la présidentielle peut-il faire gagner la Constituante ?

    Nous ne prenons jamais position sur les propositions électorales et les candidatures quelles qu’elles soient. Mais discutons sur la seule question qui nous importe : un candidat à la présidentielle peut-il faire gagner la Constituante ?

    Certes, l’idée de Constituante a fait son chemin depuis le referendum de 2005, date à laquelle nous avons lancé cette idée. Elle court aujourd’hui parmi les candidats, certains l’incluant dans leur programme comme un élément parmi d’autres, d’autres moins médiatiques semblant souhaiter limiter leur campagne à ce seul objectif. Ce n’est pas par purisme que nous n’adhérons pas à ces tentatives.





    Une démarche par définition transpartisane et rassembleuse telle que celle de la Constituante ne peut s’accommoder de la logique de la compétition présidentielle.

    L’élection présidentielle n’est pas faite pour cela. Elle insère par nature le candidat dans un combat de personnes et de programmes. Elle est d’ailleurs de plus en plus, s’éloignant de ses origines, un combat entre représentants de partis, surtout par le biais des primaires. Le candidat, quel qu’il soit, ne peut donc être celui du rassemblement pour la reconstitution du peuple que nécessite la naissance d’une Assemblée constituante. Une démarche par définition transpartisane et rassembleuse telle que celle de la Constituante ne peut s’accommoder de la logique de la compétition présidentielle.





    [La Constituante] portée par un candidat à la présidentielle, verrait son influence limitée au résultat de celui-ci.
    La Constituante doit être, en effet, celle du peuple français tout entier, pas d’une fraction, qu’elle soit de gauche ou de droite. Elle n’a pas de couleur politique et n’appartient à aucun parti, à aucune personnalité. Qu’on le veuille ou pas, portée par un candidat à la présidentielle, elle verrait son influence limitée au résultat de celui-ci.




    Elle doit être construite par les citoyens en même temps qu’elle construit les citoyens

    Nous pensons au contraire que l’objectif de la Constituante ne trouve son sens qu’en dehors des futilités ou manœuvres de la vie politicienne. Elle ne peut être octroyée, quelles que soient les qualités des candidats qui en parlent. Elle doit être construite par les citoyens en même temps qu’elle construit les citoyens. Pour sa part, la présidentielle, élection particulièrement aliénante, ne peut rebâtir la citoyenneté. La logique du scrutin présidentiel est destructrice de la liberté de pensée et de l’émancipation des citoyens. Les injonctions des partisans de tel ou tel candidat confirment d’ailleurs l’esprit d’embrigadement et de soumission à un sauveur providentiel, totalement antinomique, à nos yeux, de la Constituante.




    [la pétition] ne cible personne en particulier mais un système tout entier.

    La pétition https://www.change.org/p/citoyennes-et-citoyens-de-france-présidentielle-non-constituante-oui appelant à remplacer la présidentielle par l’élection en France d’une Assemblée constituante vise à interroger les citoyens sur un scrutin qui les infantilise. A ce titre, elle ne cible personne en particulier mais un système tout entier. Elle est un outil proposé aux citoyens dans leur marche vers la libération hors d’un système oppressif et de moins en moins démocratique. Elle est un instrument d’agrégation de leurs aspirations, aspirations concrétisées dans la collecte des cahiers d’exigences dans le cadre du mouvement des Communes citoyennes (www.communes-citoyennes.fr/). Elle est une étape dans la reconstruction du peuple souverain, sans heurts ni violences et hors de toute allégeance.
     
    La liberté ne se conquiert pas par des instruments qui brident la liberté.


    André Bellon
    Polytechnicien, ancien président de la Commission
    des Affaires Étrangères à l'Assemblée Nationale
    contributeur régulier au Monde Diplomatique




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  • « Les dieux n’étant plus, et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l’homme seul a été. » Gustave Flaubert

    Je ne suis pas alter-mondialiste ; et pourtant, je suis solidaire des centaines de milliers de manifestants qui s’expriment pour un autre monde dans les rues des mégapoles où survit une humanité de plus en plus paupérisée, soumise, méprisée ; je suis un parmi ces centaines de milliers de militants des forums sociaux locaux ou mondiaux comme un parmi ces millions d’hommes qui ont défilé dans les capitales du monde contre la folie guerrière des États-Unis. Ces défilés sont une réponse au discours révérencieux tenu depuis plusieurs décennies par les prêcheurs qui monopolisent l’expression publique, à l’enthousiasme parfois délirant [1] de la classe dirigeante vis-à-vis de la mondialisation. Ils sont une réaction à cet environnement oppressant que nous apportent, depuis des années, les principaux médias ; tournons, par exemple, au hasard, les pages de The Economist, cet hebdomadaire si politiquement correct : « Comment vous adaptez-vous à l’économie globalisée ? » ; « Pendant que beaucoup parlent de l’idée de village planétaire, nous le construisons [2]… ».

    Cette unanimité est d’autant plus extraordinaire qu’on sait depuis longtemps que les processus d’uniformisation économique sont aussi générateurs d’inégalités. Privés des instruments de politique économique que sont le déficit budgétaire, voire la monnaie, les pays englobés dans la mondialisation voient l’ajustement se faire par l’inflation ou par le chômage. Dans tous les pays, la mondialisation met à mal les conditions de vie d’une partie d’autant plus importante de la société que le pays est plus pauvre. En atteignant des catégories de plus en plus larges, elle détruit les structures sociales sans les remplacer par une organisation viable de la société.

    On ne peut donc que se réjouir de voir nombre de commentateurs ou de responsables politiques sortir, telle la Belle au bois dormant, de leur torpeur iréniste, et soudain forcés de constater que la mondialisation n’est pas heureuse pour tout le monde. Quelle satisfaction de voir le doute enfin s’installer quant aux conséquences humaines et sociales du développement capitaliste sans contraintes, d’avoir enfin le droit de dire que l’expansion commerciale ne s’accompagne pas systématiquement de « mœurs douces », contrairement à ce que ratiocinent les gardiens du « village planétaire », utilisant une pensée de Montesquieu qui leur sert de bréviaire !

    L’expansion commerciale avait pourtant toujours eu son revers, depuis la traite des esclaves jusqu’à l’explosion des marchés d’armes ; mais elle a aussi toujours eu ses admirateurs zélés ; ce sont eux qui, dans les dernières décennies, ont occupé le haut du pavé, verrouillé l’expression publique contre toute nuance envers le nouveau dogme. De Raymond Barre à Margaret Thatcher en passant par Jacques Delors et Tony Blair, une seule politique était possible : elle devait passer par la mondialisation et par le développement des échanges commerciaux ; elle devait s’appuyer sur des organes internationaux chargés de vérifier le bon fonctionnement du libre échange, cette nouvelle panacée, de sanctionner les contrevenants, de châtier les hors-la-loi du nouvel ordre. Les peuples assistaient sans pouvoir dire grand-chose à ce raz de marée qui détruisait à la fois les nations et les acquis sociaux au nom du bonheur universel ; de temps en temps même, les puissances mondiales décrétaient, au nom du droit et de la démocratie, des interventions militaires qui rappelaient fâcheusement les canonnières d’antan. 

    Mais, même si le citoyen moyen soupçonnait qu’on lui racontait une fois de plus des histoires afin de justifier juridiquement l’utilisation de la force pour des buts économiques et idéologiques, chacun finissait par s’en accommoder tant il paraissait impossible de faire autrement. La mondialisation était à la fois la nouvelle organisation de la planète et l’expression du génie de l’Occident. La critiquer, c’était attaquer un ordre de paix et de développement en même temps que la civilisation occidentale. Certains, parmi les nouveaux dirigeants du monde, s’octroyaient même le monopole du cœur en s’appropriant le principe de solidarité dont ils définissaient eux-mêmes les règles et les instruments, présentant toute autre option comme un mélange d’archaïsme, d’irresponsabilité, voire de terrorisme.

    Ce fut même, dans ce contexte, une satisfaction de voir l’intervention militaire préparée par les États-Unis contre l’Irak à coup de mensonges et dans un déferlement violent de propagande, mobiliser contre elle l’hostilité des foules occidentales en dépit du personnage repoussant de Saddam Hussein alors que, depuis la chute du mur de Berlin, toute intervention américaine était, dans l’ensemble, perçue sous l’étendard de la prospérité et de la démocratie ; il existait donc encore une liberté de pensée, un esprit critique, une capacité à s’opposer dans cette société normalisée !

    Cela étant, je ne regarde pas cette évolution sans incertitude ; on a trop souvent, par le passé, sous-estimé l’extraordinaire capacité du capitalisme à récupérer toute contestation, voire à la détourner à son avantage ; et les oppositions au monde que nous vivons sont composites, marquées par des aspects conformistes autant que par des pulsions révolutionnaires, par le prêche moraliste autant que par l’action, par l’attrait du changement autant que par la peur des innovations, par la continuité sociale autant que par le bouleversement de la société, par le goût de l’affrontement autant que par les attitudes non violentes.

    Il est bon de rassembler ceux qui aspirent à un autre monde, ceux qui s’opposent aux forces du capitalisme sans contraintes et du libéralisme le plus inégalitaire qui dominent la planète. Critiquer la droite s’impose comme une évidence ; mais à trop rassembler, on s’engage souvent dans l’inappréhendable.

    Il faut rappeler l’attitude de la gauche au pouvoir en France dans les années 80-90 pour faire comprendre à quel point la volonté d’être soutenu par le plus grand nombre aboutit soit à des messages fades, soit à de la démagogie plus ou moins hypocrite ; il faut, pour le comprendre, se remémorer la gauche officielle déversant, durant des années, des discours émouvants et lyriques en faveur des opprimés alors qu’elle menait une politique favorable aux intérêts financiers les plus importants. C’est pourquoi on ne peut écouter sans circonspection, dans le débat politique, les offensives menées contre la mondialisation du libéralisme sauvage ou contre les dégâts qu’entraînent les systèmes totalement soumis à la logique financière. 

    Ces critiques ne sont-elles pas souvent, elles aussi, porteuses de la mondialisation ? Ne peuvent-elles pas être souvent, en effet, interprétées comme expliquant que, si la mondialisation libérale n’était pas sauvage ou si la finance était un peu plus encadrée, on pourrait parfaitement s’accommoder de la mondialisation, même libérale ? Le vocabulaire des gauches de pouvoir dans les pays occidentaux reste ambigu, même dans leurs combats ; bien plus, il se veut convenable, cherchant à être acceptable par ceux qu’on appelle pudiquement les modérés : le capitalisme n’y est plus jamais évoqué ; l’internationalisme n’est plus cité qu’en filigrane ; la construction européenne qui s’y est substituée est présentée, par principe, comme un projet de paix et de bonheur dont il suffirait de pallier quelques conséquences néfastes. Mais on ignore dans les faits, tout en s’en plaignant dans les discours, la dégradation de la situation sociale qu’entraîne la restructuration du monde ; on feint d’oublier que l’internationalisme était aussi un combat collectif pour l’amélioration de la situation des exploités. Bref, devant la mondialisation, leur attitude rappelle ceux que stigmatisaient autrefois Bossuet lorsqu’il s’écriait : « Ils feignent de s’affliger des conséquences tout en s’accommodant des causes. »

    Bien sûr, la masse de ceux qui militent pour un autre monde rejette ces attitudes politiciennes largement déconsidérées de nos jours ; ils sont essentiellement mus par de nobles motifs : nous voulons un autre monde ; un autre monde est certes possible ; c’est d’ailleurs, aujourd’hui, une nécessité d’autant plus forte que nombre de problèmes sont apparus qui ne peuvent être résolus au niveau d’un État particulier quel qu’il soit ; ainsi en est-il de la pollution, de la prolifération nucléaire, de la maîtrise de nouvelles technologies, de la sécurité…

    Cela étant, une évolution sémantique a eu lieu qui n’est pas, tant s’en faut, une question de détail ; elle est, au contraire, lourde de sens : le 21 juillet 2002, le journal Le Monde titrait encore « Un an après, le retour des anti-mondialistes à Gênes » ; puis soudain, dans les éditoriaux, les anti-mondialistes sont devenus alter-mondialistes. Ce changement est passé presque inaperçu ; la transformation de terminologie, adoptée par le plus grand nombre, s’est imposée sans qu’on s’interroge vraiment : pas du tout anodine, en a-t-on mesuré tout le sens et toutes les conséquences ?

    Le choix des mots et des concepts est fondamental dans l’histoire humaine. George Orwell l’avait parfaitement compris lorsque, dans sa description du totalitarisme absolu [3], il montrait « comment rendre impossible le crime par la pensée grâce à l’abolition de la référentialité et de l’Histoire (…..), au contrôle de la mémoire, individuelle et collective, à l’imposition d’une langue, la novlangue (…), créant ainsi une véritable dystopie [4] de la communication [5] ».

    Ne transigeons donc pas sur les mots. Pour ma part, je me définis comme anti-mondialiste. Cette vérité s’est imposée à moi comme un évidence au sortir d’un parcours personnel long, chaotique, parfois contradictoire ; comme toute une génération, j’ai vécu dans un pays longtemps dominé politiquement par le Parti socialiste de François Mitterrand ; comme beaucoup de citoyens de gauche, j’y suis passé et je dirai, au bout de ce chemin discutable, que c’était vraisemblablement une erreur qu’il fallait commettre. C’est au travers des difficultés et des erreurs qu’on découvre souvent le chemin qu’on doit prendre.
    Je suis anti-mondialiste. Non par un goût ou une attirance particulière pour le passé : je sais, en effet, que des forces archaïques, en particulier d’extrême droite, combattent aussi la mondialisation ; je sais que leurs valeurs, en particulier leur vision étriquée et excluante de la nation, sont opposées aux miennes, qu’elles sont profondément réactionnaires. Mais je sais aussi que la mondialisation est déjà un concept dépassé, que les grandes luttes qu’elle a suscitées contre elle ne sont que les prémices de sa remise en cause. Je suis anti-mondialiste parce que je crois que la période qui s’ouvre demande aux hommes de retrouver une identité politique, loin de ces magmas idéologiques sans signification concrète qui leur sont imposés pour mieux pervertir leur pensée ; parce que je crois que la revitalisation de la politique, attribut essentiel de l’homme libre et donc du citoyen, et le retour de l’humanisme passent par le combat contre le concept même de mondialisation.

    Bien évidemment, dans le cadre institutionnel du monde qui nous environne, devant les contraintes érigées justement par le système mondialisé, les anti-mondialistes mus par les principes humanistes n’ont pas de représentation politique ; ils en ont d’autant moins que le combat contre la mondialisation se retrouve dans des camps très divers, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, et que, donc, sa lisibilité est rendue très difficile ; doit-on pour autant se positionner, histoire de faire plus respectable, ou, naïvement, dans un souci d’efficacité, dans un autre camp tout aussi ambigu en dépit des apparences ? Les partis officiels, en se contorsionnant un peu et en jouant sur l’ambiguïté de l’« alter », peuvent se dire alter-mondialistes. Dans l’embrouillamini général de l’échiquier politique, il n’y aura aucune efficacité sans clarté totale ; il ne faut pas hésiter à développer des analyses et à proclamer des principes sans se soucier de l’attitude des autres. On ne lève pas les ambiguïtés en en créant d’autres et il n’y a pas d’ambiguïtés plus acceptables que d’autres.

    Réaffirmer les valeurs humanistes, c’est refuser de se situer d’entrée de jeu dans les présupposés, dans les contraintes d’une conception mondialiste que cherche à imposer, sous des formes diverses, l’idéologie dominante ; c’est se comporter en homme libre. Ce concept vieillot est pourtant la pierre angulaire de toute contestation idéologique sérieuse. En plagiant Spinoza, on déclare que la liberté est la réalisation de soi, rendue possible par la raison. Elle est une réalité concrète qui s’exprime dans des actions réfléchies. La conduite de l’homme libre est donc tout à fait autonome. L’homme libre est à la fois l’acteur et le modèle de la philosophie humaniste, cette philosophie qui, comme le disait Jean-Paul Sartre, « prend l’homme pour fin et comme valeur supérieure ». Aujourd’hui, alors que l’idée même d’homme libre est redevenue suspecte, vouloir réaffirmer l’humanisme, face à une mondialisation présentée comme fatale au-delà de ses formes diverses, c’est avant tout réaffirmer l’autonomie de l’individu ; or, c’est justement être anti-mondialiste.

    Au demeurant, pourquoi l’aspiration à un autre monde devrait-elle se référer à un autre mondialisme ? Il n’y a qu’un mondialisme connu, celui construit par le capitalisme à son niveau actuel de développement. Avant toute quête d’un monde différent, il importe de refuser clairement ce processus, ses présupposés, les forces qui le construisent et le dominent. Car la mondialisation n’est au fond qu’une représentation idéologique du monde dont le seul fondement historique véritable est le rôle et la fonction des intérêts économiques et financiers dominants ; ce n’est que pour légitimer cette construction politique que ses thuriféraires en cherchent la justification dans le développement considérable et universel de la technologie. Or, des bouleversements scientifiques et techniques d’une telle ampleur ont déjà eu lieu dans l’Histoire ; et les constructions politiques que l’humanité a faites en réponse ne furent pas toujours les mêmes. Le monde entier considéré comme le seul espace pertinent pour l’action politique est certainement intéressant pour le capitalisme dans sa phase de délocalisation permanente ou pour certains opérateurs financiers ; l’est-il autant pour le citoyen de base ?

    Car il reste que, grâce à cette évolution de la pensée, le monde, dans son intégralité, est perçu comme le seul terrain possible de la transformation sociale ; conclusion d’autant plus perverse que cet espace total, par nature peu maîtrisable, ne se prête pas à l’organisation du combat social et que les capitalistes y ont toujours été gagnants. J’ai souvenir d’une réunion où quelques hommes d’affaires sentimentalement portés à une nostalgie envers la nation française évoquaient ce qu’ils appellent le souverainisme quand soudain l’un d’entre eux s’écria : « Oui, mais il ne faudrait pas que le souverainisme nous ramène le mouvement social ! »

    L’idéologie de la mondialisation n’est pas apparue par hasard. Elle est le résultat du combat philosophique qui a été mené avec constance et application contre la pensée dite « moderne », c’est-à-dire contre le rationalisme et les grands philosophes des Lumières, contre une pensée historiquement libératrice. Les attaques des philosophes dits post-modernes ont conduit à critiquer l’humanisme, à rejeter la raison, à donner un sens péjoratif à la notion de nation, au nom des horreurs du 20è siècle, oubliant que c’est la disparition de l’humanisme, le déni de la raison et le dévoiement de la nation dans le nationalisme qui avaient conduit à ces dérives ; elles aboutissent, ces attaques, à dénier à l’homme sa capacité de contestation fondamentale.

    Il y a quelque temps, un philosophe avait choisi pour thème de conférence « L’intelligence l’emportera-t-elle sur la bêtise ? » ; il posait, à sa manière, la même interrogation philosophique. Car le pari de l’intelligence, c’est celui de la confiance dans l’humanité ; c’est le droit laissé à chaque homme de faire sa propre analyse ; ce n’est pas parce qu’un individu ne peut expliquer ses refus ou ses aspirations que ses refus ou ses aspirations doivent être condamnés. Face à un système qui tente de tout imposer, de tout réglementer, de tout contrôler, il y a là une véritable gageure. Il n’empêche : vouloir un autre monde, c’est donc d’abord accepter et vouloir l’homme comme un être libre et comme un citoyen.

    L’idéologie de la mondialisation libérale cherche, par ailleurs, sa pseudo-légitimation historique dans l’histoire chaotique et les échecs de la gauche depuis un siècle, qu’il s’agisse de la dérive caricaturale du communisme soviétique ou des facilités de son frère ennemi, le « nouveau » socialisme moderne dont l’histoire reste à faire. « Vous voyez bien, disent les thuriféraires du libéralisme, que toute autre voie conduit soit à des impasses, soit à reconnaître le bien-fondé de nos valeurs ».

    L’aspiration à un autre monde impose de répondre à ces attaques ; d’abord en regardant d’un œil critique l’histoire de la gauche ; ensuite en travaillant sur la définition des axes de la transformation sociale et des espaces dans lesquels il est possible et efficace d’agir pour ce changement dans un univers que le capitalisme a généré en ce début de 21è siècle.

    La question n’est d’ailleurs pas neuve dans l’histoire de la gauche ; sous d’autres formes, il y a plus de cent cinquante ans, dans les tout débuts du mouvement ouvrier, le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels déclarait : « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot. » Au-delà de toute exégèse, remarquons le lien établi entre la transformation sociale, la prise de pouvoir politique et l’importance accordée à l’existence d’une communauté politique.
    Alors que le processus de mondialisation conduit à un espace apolitique, comment poser la question sociale et celle de l’organisation de la société sans remettre en cause la nature même de ce processus ?

     S’il est juste de dire que le combat pour l’humanité est par nature universel, cela ne donne de force qu’aux principes éthiques sur lesquels doivent se fonder les luttes sociales, mais ne définit pas le caractère, la place, le champ d’action pour un autre monde, ni l’articulation entre les différents niveaux.
    On peut certes craindre, à trop clarifier les enjeux, d’être trop minoritaire, trop isolé ; mais il faut craindre surtout, à vouloir trop rassembler, de ne plus ressembler à rien ; comme le dit Alessandro Barrico : « Il y a toujours une portion d’humanité qui n’est pas d’accord, qui se révolte contre l’inertie avec laquelle la majorité adopte les slogans que quelqu’un d’autre leur a inventés ; ce sont les rebelles [6] ».

    Sans cultiver le mythe des rebelles, reconnaissons leur utilité dans cette phase de désarroi. Leur faire place n’est pas faire table rase du passé ; ce serait le meilleur cadeau à offrir aux forces qui construisent et dominent aujourd’hui le processus de mondialisation. Le rôle de la rébellion est à la fois plus simple et plus fondamental ; il est de redonner confiance dans le refus. Il est de certifier la liberté de l’homme. Lorsque, dans le roman 1984 d’Orwell, O’Brien torture Winston pour lui faire abjurer cette vérité en soi qui postule que 2 plus 2 font 4, il montre à quel point il s’agit de l’affirmation d’une liberté, d’une question politique. Il laisse entendre qu’il existe un lieu où l’individu peut l’emporter sur le mensonge de l’idéologie officielle [7]. Ce lieu perdurera-t-il ? C’est une question fondamentale, car seule son existence permet à l’individu d’exprimer ses refus.

    Le refus est, en effet, un des attributs fondamentaux du citoyen ; il est et reste un des fondements de la démocratie et de la république : en son article 2, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’affirme-t-elle pas que l’un des « droits naturels et imprescriptibles de l’homme est la résistance à l’oppression » ?

    La suite est à consulter dans le livre Pourquoi je ne suis pas altermondialiste. Éloge de l’antimondialisation par André Bellon, Éditions Mille et une nuits, 2004.

    [1Voir Alain Minc, Le Monde, 17 Août 2001 : « La mondialisation heureuse ».
    [2The Economist, Novembre 1999.
    [3George Orwell, 1984, Gallimard, Folio, 1990.
    [4Sorte d’utopie noire où l’objectif de société idéale est pris à contre-pied.
    [5Voir Yves Breton, Grandeur et décadence-Le développement dans tous ses états, Éditions L’Interligne, 2002.
    [6Alessandro Barrico, Petit livre sur la globalisation et le monde à venir, Albin Michel, 2002.
    [7Voir Yves Breton, ib.


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  • Les 9 et 10 juillet, c'était comme d'habitude la fête studieuse à Notre Dame des Landes.

    A cette occasion-là, l'Association Pour Une Constituante était présente en la personne de Didier Brisebourg, venu nous rejoindre.

    Voici le compte-rendu envoyé par  nos amis.

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    Entre la loi travail et Notre Dame des Landes, les militants de Nantes ont été aux premières loges.
    Les militants du Cercle de Nantes sont venus prêter main forte à notre camarade Didier Brisebourg qui a donné une conférence de très belle facture et qui a réuni une centaine de personnes attentives et réactives. Nous avons pu constater que nos idées font leur chemin si l’on en juge par la qualité du débat et au nombre significatif de contacts établis.

    Ci-dessous, la photo de nos amis heureux de cette journée. Souvenir d’une belle journée d’été sous l’un des chapiteaux dressés en plein champ, à proximité de la « Zone à Défendre de Notre Dame des Landes ». 

    Bernadette Briand, Lucy Gil , François Couturier et Loïck Gourdon

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    Et photos de notre ami Didier Brisebourg à la tribune


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    Loïck Gourdon

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